Hier, les collègues de ma mère m'ont appelée, elles voulaient que je passe au bureau, un truc urgent. Je suis arrivée là-bas, 3e étage direction de la communication, le lino devient moquette rougeoyante, ambiance feutrée, on ne marche pas, on tapis-roule, on hydro-jet, on hélicoptérise. Le seccrétariat, les amies de travail, pas beaucoup, juste assez.
"Oh c'que t'as grandi. C'était quand la dernière fois?"
La dernière fois c'était quand j'étais revenue en pleurant après avoir foiré l'oral du bacc français. Apollinaire. Alcools. J'm'en souviens, elles aussi. Ca nous fait parler. A un moment, silence, grand grand silence. Le grand grand silence pour le grand grand patron qui vient d'entrer. Il n'est pas très content de voir que tout le monde n'est pas à son poste, certaines ont eu l'outrecuidance de s'exploser un jambon-beurre dans les gencives en plus de 7 minutes. Ah, il en aurait des choses à redire sur les 35 heures et tout le merdier socialo-marxiste.
Sans compter les congés maternité. Enfin bon. Il a un truc urgent à faxer, il n'a pas été programmé pour, il me tends la feuille, comme ça, sans un mot. Il ne se souvient pas que ma mère n'est plus là, qu'elle respire une fois sur deux, qu'elle s'en tape de son fax à deux balles à haute teneur communicatoire je présume. C'est là que je l'envisage superbement bleuté étoufé par de la moquette de 65 cm d'epaisseur, c'est communiquant à souhaits. A moins que je le faxe, j'imagine déjà ce visage flasque compressé par les petits rouleaux, aplatis par les petits roulements. Et ce, à l'infini. Les amies de bureau de ma mère reprennent la main. Je réfléchis au monde du travail et envisage de me tirer une balle dans le genou après m'être jetée par la fenêtre histoire de mettre toutes les chances de mon côté. A moins que je ne fasse profiter le grand "Grand" de mon sentiment sur la chefitude et l'employeurisme.
Après tout, la lutte des classes, ça sert à ça, ne plus s'enfermer dans une logique autodestructrice, s'ouvrir à l'autre, lui faire connaître la globalité du ressenti, l'ampleur du vécu. Le grand patronnat s'en retourne dans son bureau feutré. Je rêve, j'aspire, je mâche tout ce qui a un rapport direct ou indirect à la nicotine. Les amies de bureau m'observent avec bienveillance et inquiétude comme les fées de la Belle au bois dormant. Elles ont le petit sourire en coin. Elles me sortent de dessous leur bureau une petite boîte qui gigote, dessus il y a une carte destinée à ma mère, dedans il y a un cadeau de prompt rétablissement acheté avec l'argent du service. De la joie et du bonheur dans ta demeure. Un cadeau pensé, étudié à fond. Une chose qui pue le boeuf séché et qui permettra à ma mère de marcher pendant que le sac à crottes entre en action sur les belles pelouses de M.le maire.
Un chien.
Moche.
Il a l'ensemble de la mâchoire inférieure à trois mètres du reste de la gueule et un strabisme divergeant. J'ouvre la boîte et je tombe sur ça, un plumeau prognathe avec les yeux qui se situent à peu près nulle part. Au début, je crois que c'est une peluche, un truc à mettre sur la table de nuit. Quoique, cet objet sur une table de de nuit d'hôpital ça peut entraîner des troubles psychologiques. Bon, je regarde l'objet, je dis ahhhhhh c'est sympa, l'objet vomi, c'est un vrai chien, ça vit 15 ans, j'ai arrêté de fumer.
Et si je le faxais sur de beau papier à en-tête?
Les amies sont ravies, elles m'embrassent, elles embrassent ma mère par mon intermédiaire, elles embrassent l'objet canin. Je suis ravie que les embrassades aient eu lieu dans cet ordre, il pue de la gueule. Pratique pour trouver une place dans le métro, pas de disputes ni de batailles rangées, je brandis l'objet devant moi, les gens s'inclinent. Bon, la chance c'est qu'il a l'air totalement apathique, il ne réagit à aucun stimuli canin connu, pas de réaction face au lancer de balle, bâton, chausson, os, un refus total de proférer ne serait-ce qu'un demi-aboiement. Ce chient est muet. En même temps, avec des dents pareilles...
Point positif: La touffe qui pue a été baptisée Jean-Paul.
Point négatif: Jean-Paul appartient à une race qui, vérification faite, a tendance à vivre 20 ans voire 22 ans.
Evolution: Tension en augmentation constante.
Projets: Me lancer dans la recherche dès ce soir de façon à guérir ma mère au plus vite et la faire sortir de l'hôpîtal avant que ses collègues de bureau n'aient d'autres idées de cadeau. Parceque, j'ai réfléchis, il en reste des choes à lui offrir, un groupe de Péruviens qui chantent, des clowns, un lanceur de nains qui disent des blagues avant de retomber au sol. Ca peut aller loin.
Je l'ai lu au moins 20 fois, et ce passage me fait toujours autant rire...
J'éspère que ça vous plaît !!
Commentaires :
Bouuuh
Merciiii merci merci c'est tordant :) et MERCIIII pr la dédicasse :)
RoOoOoOobeezoo!
Re: Bouuuh
Robeezoox aussi ! et pas de koi pour la dédicace , je te devais bien ça après tes maintes réclamations ! ;o)
Etolane-Lantrec
EXDRRRRRR
J'en peux plus, j'en peux plus j'en peux plus!!!
c'est TORDANT et PLIANT
j'en peux plus
mdrrrrr