Evidemment, en sortant, c'était facile. Facile de se sentir forte. Facile de ne pas prendre le métro et d'aller à pied à l'opposé, facile de bousculer un grand con à l'air débile et de lui faire comprendre rien qu'avec les yeux qu'au moindre mouvement sa tête irait rejoindre en toute sérénité mon genoux droit pendant que mon pied gauche lui exploserait un tibia et quelques péronés.

 Facile.
 
Facile même de farfouiller dans un sac à main dans lequel je n'ai jamais rien trouvé en moins d'une heure trente, de saisir le petit objet cartonné et de le plier nonchalamment pour le faire entrer dans une des poubelles du boulevard qui mène à l'hôpital, le nouveau domicile de ma mère.

Après, rien. Pendant tout le chemin, un grand calme, la sensation du devoir accompli. Nous sommes lundi, c'est l'été, j'ai toujours un aphte, un bouton sur le front, un CV et pas de travail, je viens d'arrêter de fumer par la faute de ma mère, mais j'ai l'impression d'avoir pris une bonne décision, la meilleure décision de ma vie. Pour un peu, en sortant de l'hôpital, j'aurais presque fait un triple salto arrière avec récéption sur une main mais bon, il faisait beau, j'avais une jupe, on aurait vu ma culotte.

Bien sûr, je me demande pourquoi j'ai dit oui, mais si peu. Je sens l'anxiété picoter quelques fois mon cerveau d'ex-fumeuse depuis quelques minutes déjà. Peut-être parceque la décision n'est pas réellement venue de moi comme toutes les choses importantes sur lesquelles il a fallu trancher d'ailleurs. Je laisse ma mère aux commandes de ce choix là également. Elle sait de quoi elle parle, pas moi, la vie et la mort sont de pures abstractions pour moi.

Je suis où l'on me pose, pas plus.

Points positifs: Plein.
Fini le petit bout de tabac collé sur la dent de devant dont on ne se rend compte qu'une fois rentré chez soi.
Fini l'haleine de poney.

Points négatifs: Aucun.

Evolution: Excellente. 20 cigarettes non consommées soit 20 minutes de vie en plus. La volonté ça paye.

Notes concernant le milieu hospitalier: Le premier médecin dit respirer c'est simple, ouh ouh ouh ouh, le souffle, l'air qui circule comme chez lui. Ouh ouh inspirer expirer deux bouffées pour marcher, trois pour courir. C'est simple. Alors pour ma mère ça va aller vite, puisque tout est si simple. Et puis un jour le médecin n°2 constate qu'il faut trois bouffées pour marcher vite, deux pour marcher lentement. Mais pas de problème, tout ça est simple. Et puis un jour, le médecin n°3 voit qu'il faut trois bouffées pour marcher lentement et deux pour d'asseoir, et puis trois pour s'asseoir deux pour s'allonger. Mais pas de doute, ça reste simple. Ce sont eux qui savent, ma mère et moi suivons. Et puis un jour ils disent hospitalisation, mais c'est provisoire tout ça.